UNE «CHAUVE-SOURIS» À L’AILE… CASSÉE
Comme chaque année, à l’occasion des fêtes de Noël et de fin d’année, le Théâtre du Capitole nous offre une opérette.
Cette année, Nicolas Joël, directeur que nous regrettons déjà (Nicolas Joël quittera en 2009 la ville rose pour la ville lumière, pour diriger l’Opéra de Paris), nous fait cadeau de l’œuvre lyrique majeure de Johann Strauss fils : «Die Fledermaus» («La Chauve-souris»).
Après le plaisir d’écouter l’ouverture, par la baguette de maître du grand maestro Günter Neuhold (directeur musical qui est un habitué de la maison), le rideau s’ouvre sur un décor d’époque qui annonce une mise en scène conventionnelle.
Et cela ne nous déçoit pas : malgré l’équipe de grande qualité réunie avec soin autour des artistes de la maison (orchestre, chœur et corps de ballet), «La Chauve-souris» arrive à peine à s’envoler.
Première déception : même si c’était prévisible de retrouver «Die Fledermaus», ce chef d’œuvre de l’opérette viennoise, en version française (chantée donc dans la langue de Molière, plutôt que dans la langue de Goethe), les connaisseurs seront un peu perplexes en découvrant que l’action ne se passe plus du tout à Vienne, mais à Paris et dans sa banlieue ! Et que la maîtresse de maison, Rosalinde, répond au nom de Caroline.
Si d’un côté il est compréhensible que la version française rende l’œuvre plus accessible au public français, de l’autre nous regrettons l’absence de sous-titrage (les registres très aigus rendant difficile la compréhension du texte).
Rosalinde, ou son alter ego français, Caroline, est interprété de façon pétillante par l’élégante Sophie Marin-Degor (ou Cécile De Boever), accompagné par son mari, Gabriel von Eisenstein, chanté et joué de façon exquise par Patrick Raftery, et de son aspirant à amant, Alfred, chanteur – ténor «à l’Opéra du Capitole de Toulouse» (confession dans le 3e acte, qui nourrit un sketch comique avec Frosch, le gardien de la prison), chanté brillamment par Sébastien Droy. Mais ce sont les rôles d’Adèle et du Prince Orlofsky, chantés et joués, respectivement par Jaël Azzaretti (ou Laure Crumière) et par le contre-ténor Max Emanuel Cencic, qui nous émerveillent par leurs voix riches, des aigus pleins d’expression et d’une beauté troublante.
De cette équipe d’exception font aussi partie Michel Trempont, dans le rôle de Franck, Didier Henry en Docteur Falke, Ricardo Cassinelli en Docteur Blind et les rôles parlés d’Ida et Frosch. Celui-ci, incarnant un gardien de prison décalé et bouffon, nous bouleverse au début du 3e acte avec ses sketches époustouflants d’humour, d’une actualité et ténacité pointues, qui nous disent que peut-être Jean-Louis Grinda serait plus à son aise dans des mises en scène de théâtre non lyrique.
Parce que la mise en scène est le talon d’Achille, ou mieux, l’aile brisée de notre «Chauve-souris».
Une opérette avec une mise en scène point innovatrice, c’est une chose à laquelle nous sommes habitués. C’est comme la médiocrité générale de la danse sur la scène lyrique, qui se répète encore ici, avec des petits intermezzos chorégraphiques, assumés avec patience par les danseurs du Ballet du Capitole. Moments dansés qui se veulent amusants, mais qui ne font que basculer un grand moment de théâtre lyrique dans un terrain proche de l’«entertainment» d’une télé-réalité.
Mais revenons à la mise en scène : Jean-Louis Grinda signe ici, malgré la qualité des artistes, une direction d’acteurs sans intérêt et de peu de soin.
Si dans le 2e acte – le bal chez le Prince Orlofsky – nous avons des échantillons de personnages d’époque, pleins d’exotisme, ce ne sont que des essais non aboutis, qui lancent des idées, qui auraient pu être intéressantes, si développées !
Et cela est une constante de la mise en scène : dans le 1er acte, les tables et fauteuil qui s’élèvent dans l’air sans explication, nous démontrent les possibilités infinies de la machinerie de décor du Théâtre du Capitole, mais nous donnent des effets, fort esthétiques, mais totalement injustifiés ! Tout comme la présence, dans le 3e acte (la prison), en plan élevé, d’un rappel du décor du 1er acte (le salon des Eisenstein).
À ajouter à une direction d’acteurs insipide, et à des effets incongrus, nous avons le total manque de préoccupation du détail, qui brise, chez le public, toute capacité de se laisser prendre par ce moment de rêve, que nous réussissons tout de même à avoir, grâce à la qualité des artistes et de l’œuvre:
une porte fermée, par une main inconnue, mais bien visible, derrière une artiste qui rentre en scène, nous laisse penser que la maison des Eisenstein est peut-être hantée ; un tapis qui se plie et se replie sous les pas de l’artiste, nous parle de la difficulté de le fixer au sol (quand une importante équipe technique a tous les moyens de le faire) – surtout que la scène devient territoire piégé pour les artistes-interprètes ; un gâteau à la crème qui ne laisse aucune trace sur la robe de l’artiste, bien qu’elle soit dessus (une simple attention au placement du gâteau suffirait à le rendre crédible) ; une prison avec des confettis en avant-scène, témoins oubliés du bal de la scène antérieure…
Et comme ceux-ci, les détails sordides se suivent. Non que les détails sordides soient inacceptables, si au moins ils étaient conscients et voulus !
Jean-Louis Grinda signe une mise en scène médiocre et sans intérêt, pas à la hauteur du Théâtre du Capitole et de son public connaisseur.
Heureusement Johann Strauss nous a laissé une œuvre qui survie à tout cela, et avec son équipe d’artistes de haut niveau, «La Chauve-souris» arrive à nous faire rêver.
Merci.
Théâtre du Capitole – Toulouse
23, 24, 27, 28, 29 et 31 décembre 2006 à 20h ; 25 et 30 décembre à 15h.
http://www.theatre-du-capitole.org/
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